L’inclusion financière pour développer l’emploi et faire reculer la pauvreté
Aujourd’hui, l’inclusion financière des personnes précaires est un enjeu majeur dans la plupart des pays où agit Entrepreneurs du Monde. C’est le cas notamment en Guinée Conakry, où seulement 23% de la population est bancarisée. C’est 3 fois plus qu’il y a 5 ans mais cela reste modeste par rapport aux pays voisins.
Pourtant, l’accès au crédit et à l’épargne est essentiel pour permettre aux personnes les plus précaires de lancer une activité, de faire face au quotidien et de sortir de la précarité dans la durée.
Raphaëlle Constant, journaliste chez RFI, s’est rendue en Guinée Conakry pour enquêter sur l’accès au crédit et à l’épargne. Elle a notamment interviewé des animateurs et des bénéficiaires de WAKILI, programme de microfinance sociale d’Entrepreneurs du Monde. Un grand merci à elle d’avoir recueilli ces témoignages précieux à écouter dans son reportage « Epargne, crédit et bancarisation en Guinée Conakry » dans le cadre de l’émission 7 milliards de voisins !
Les difficultés d’accès aux banques en Guinée Conakry
Si moins du quart des Guinéens ont un compte bancaire, c’est parce que les banques offrent peu de relation de proximité (en milieu rural encore moins qu’ailleurs) et que la confiance a beaucoup de mal à s’établir, dans les deux sens : les banquiers, pour accorder un crédit, demandent des garanties salariales difficiles à atteindre, et les Guinéens, pour en demander un ou pour confier leur épargne, manquent d’interlocuteur fiable et capable de comprendre leurs besoins.
Ils préfèrent donc garder leurs liquidités chez eux, au risque pourtant de les exposer aux vols, aux inondations, aux incendies, etc… Et pour développer leur business, ils se rabattent sur des prêteurs exigeants et peu scrupuleux, ou à leur famille ou voisins dont ils deviennent dépendants et avec qui naissent souvent des tensions.
Ils vivent donc au jour le jour, sans grande capacité à emprunter et à épargner, avec pour priorité de subvenir à leurs besoins et ceux de leur famille.
Les plus touchés par ce problème sont les jeunes et les femmes. Beaucoup ne savent pas ce qu’est une banque et ignorent qu’elles peuvent les solliciter pour lancer et pérenniser une activité génératrice de revenu. Leur inclusion économique est donc particulièrement complexe.
L’Etat travaille activement à l’inclusion financière pour introduire la population dans un circuit économique formel. Elle a déployé une campagne d’identification des personnes vulnérables pour leur proposer notamment du mobile banking. Un outil certes intéressant, mais comportant des limites.
Le manque de confiance envers les banques
Témoignage de Mohamed, chauffeur de taxi à Conakry
« Je conduis ce taxi depuis 30 ans à Conakry. Cette activité m’a apporté beaucoup de choses et je peux nourrir ma famille. Je peux gagner 50 000, 100 000, parfois plus par jour. Je mets ce cash dans ma poche et je le cache à la maison. Quand j’ai besoin de mon argent, je me sers. Je n’ai jamais mis mon argent à la banque car je préfère le garder à mon niveau. Quand j’ai besoin, je prends. Je n’ai pas peur pour mon argent car je n’ai pas de problème de vol avec ma famille.
Je prie Dieu pour ne pas perdre mon épargne lors des inondations de la saison des pluies. Au quotidien je gère tout en liquide, je donne l’argent en liquide à ma femme pour les dépenses. Je ne suis jamais rentré dans une banque, ça ne m’intéresse pas. J’aimerais dire aux banques qu’il faut qu’elles mettent en place une relation de confiance avec la population ».
Témoignage du secrétaire de la plateforme de concertation du secteur privé guinéen
« Aujourd’hui les plus gros opérateurs de ce pays, ce sont les commerçants, ce ne sont pas les industriels ou les ministres parce qu’on importe pratiquement tout. Si l’Etat devait lever une grosse somme d’argent il ne pourrait pas. Il y a énormément de liquide qui circule dans la ville, il y a des coffres forts un peu partout. Les gens craignent les banques. Ils se sont fait avoir avec les banques : elles ont minimisé les risques et on s’est retrouvé avec des drames familiaux : des gens ont hypothéqué leurs maisons sous les conseils de leurs banquiers et l’ont perdue. Il y a un réel manque de confiance entre les banques et les clients, des deux côtés. L’Histoire est têtue. Pendant la première République les gens ont eu du mal à récupérer leur argent. Pendant la Deuxième République, du jour au lendemain, en pleine nuit, sur décision unilatérale, le président de la République a changé le cout de la monnaie. Cela est restée dans la tête des gens : les banques ce n’est pas sûr, il vaut mieux garder l’argent à la maison s’il y a un problème ».
Cette méfiance est également visible chez les jeunes qui se tournent vers les nouvelles technologies et sont plus aptes à utiliser du mobile banking.
Témoignage d’un jeune bloggeur citadin. « Même si les banques Guinéennes me proposaient des choses intéressantes je ne les prendrais pas parce que dans ma tête il n’y a pas cette confiance nécessaire. Surtout avec les crédits, j’ai le sentiment que ça ne va pas bien se terminer, que le taux va s’élever à un moment ou à un autre. Même l’assurance : j’assure ma moto et tout ce que j’ai parce que c’est une obligation légale mais dans le fond je ne pense pas qu’il y a un moment où ils vont m’aider. Dans les exemples que je vois, quand tu as un problème il faut que tu te débrouilles. Je pense personnellement que la première chose que doivent faire les banques c’est de donner confiance. La plupart des choses que proposent les banques sont pour les fonctionnaires, ceux qui ont un revenu fixe. Les banques cherchent avant tout à faire de l’argent et à le faire fructifier, il ne faut pas s’attendre à plus. Je n’ai jamais envisagé la banque comme un moyen de financement, pour moi la banque c’est juste pour aller y déposer mon argent et le faire garder. »
L’accès encore plus dur en milieu rural
Certes, l’alternative du mobile banking se développe vite et est source d’espoir, mais il reste difficile en milieu rural (le développement des réseaux, en Guinée, est l’un des plus faibles d’Afrique).
Témoignage d’un jeune homme guinéen. « Mon père habite à 55 km de Conakry, il est marchand, cultivateur et éleveur de petits ruminants. Ma mère est potagère et également marchande. D’où je viens il n’y a pas de banque, mes parents ont des difficultés à utiliser les téléphones, à plus forte raison les smartphones. Les habitants des campagnes environnantes vivent dans les pires conditions et certains ne savent pas ce qu’est une banque, un financement bancaire ou une numérisation de leur activité. Il y a des moyens comme le mobile banking qui ne couvre qu’une petite partie de la population, environ 3 millions d’utilisateurs de compte Orange Money, alors que la population guinéenne est d’environ 13,72 millions d’habitants. Alors comment pensez-vous que cette inclusion soit possible dans de telles conditions ? Comment pensez-vous que le projet de numérisation de l’économie soit faisable ? »
La problématique de l’entrepreneuriat sans accès au crédit et à l’épargne
Pour lancer et pérenniser une activité génératrice de revenus, l’accès au crédit et à l’épargne est essentiel. Pour emmener les gens vers l’inclusion financière, il faut d’abord soutenir leur activité, pour qu’ils puissent ensuite épargner et affronter le quotidien.
L’accès au crédit
Raphaëlle Constant a rencontré des micro-entrepreneures guinéennes. Lorsqu’elle leur demande comment elles s’y prennent pour augmenter leur stock sans avoir l’argent nécessaire, elles répondent :
« J’irais voir un proche ou un voisin pour m’aider à trouver la somme pour améliorer mon commerce. »
« Actuellement, prendre du crédit auprès d’autres personnes c’est difficile, donc moi, j’irais à la banque pour demander un prêt qui m’aidera à développer mon commerce. »
« Moi j’irais voir mes collègues marchandes ».
« Moi si j’étais en difficulté je pourrais vendre un bien personnel pour avoir de l’argent ».
Mais après discussion entre les participantes, c’est souvent cette dernière option qui est finalement choisie, au détriment des biens personnels de chacune. « Prendre du crédit chez les voisins ce n’est pas très prudent. Le voisin peut raconter aux autres du quartier ce qu’il se passe entre vous, et parfois, si tu ne le paies pas à temps, il peut te diffamer et t’insulter, même si tu es plus âgée que lui. Si tu ne respectes pas le délai, si tu es malade, ce n’est pas son problème. Et si tu demandes un prêt à la banque et que tu n’arrives pas à le rembourser à temps, la banque peut prendre un de tes bien personnel à la place de la somme que tu leur dois. »
L’accès à l’épargne
Bébé Malumba Condé est transformatrice de fonio (une céréale) dans une coopérative depuis deux ans. Elle est séparée de son mari et la garde des enfants est partagée. « Quand je suis arrivée ici je n’avais aucune ressource financière et à la recherche de moyens pour entreprendre. Ce travail m’a donné beaucoup de bénéfice en terme social, économique et même de statut. Je peux habiller mes enfants, les nourrir, je paye l’école et je subviens à mes propres besoins. Je gagne de l’argent dignement. Avec l’argent gagné j’assure mes transports pour venir travailler et les besoins de mes enfants. Je ne peux pas poser mon argent dans une banque ni épargner car je n’ai pas assez d’argent pour les banques. Elles posent des conditions que je ne peux pas remplir. J’épargne mais pas dans une banque. »
L’alternative sociale WAKILI : proximité, services financiers et formation
Face à ces problématiques, Entrepreneurs du Monde a créé un programme de microfinance, à dimension sociale, en Guinée Conakry.
Comme tous les programmes de microfinance sociale d’Entrepreneurs du Monde, WAKILI permet gratuitement aux plus vulnérables d’accéder à l’inclusion financière et d’être introduit dans le circuit économique formel. L’équipe propose aux micro-entrepreneurs des services socio-économiques gratuits (formations, accompagnement individualisé, référencement social, etc.) et des financements adaptés (microcrédit, épargne).
Raphaëlle Constant a rencontré Prosper Sulé, responsable des opérations de WAKILI, lors d’une formation à laquelle participent une quinzaine de femmes entrepreneurs, autour du thème « Réinvestir son épargne dans son activité génératrice de revenu ». Posper lui explique comment fonctionne WAKILI.
« Les bénéficiaires choisissent l’endroit où nous nous rencontrons, puis c’est nous-même qui nous nous déplaçons. Nous allons chez eux pour éviter qu’ils fassent des dépenses, comme dans les transports par exemple, pour venir jusqu’à nous. Nous restons à proximité et nous allons vers eux.
Bien évidemment intégrer WAKILI est gratuit, parque que nous faisons des crédits sans caution solidaire, et sans demander aucune garantie : ni physique, ni matériel.
Bien sûr, proposé des crédits sans garantis comporte un risque. Mais les risques sont quand même minimisés, parce que nous savons que les personnes que nous accompagnons sont vraiment dans le besoin. Parfois il y a quand même des difficultés, mais nous les comprenons ! Souvent, ces difficultés sont liées aux cas sociaux comme les cas de décès, le cas de vol… et même l’épargne chez nous est gratuite. C’est pourquoi, on leur demande pour leur apprendre à épargner, un minimum de 5000 francs CFA à chaque réunion et nous rémunérons cette épargne. »
« L’objectif de WAKILI, c’est de vous aider à être indépendantes et libres ! »
Au micro de Raphaëlle, les bénéficiaires de WAKILI ont expliqué pourquoi l’accès à l’épargne est une chance, quand on veut développer sa microentreprise.
Bangoura « Si tu es commerçante, il faut mettre de l’argent de côté et à chaque fois, tu mets dans une caisse une partie de ce que tu gagnes, même si c’est juste 1000 ou 2000 francs. En cas d’urgence, tu peux ouvrir cette caisse et prendre la somme que tu as épargné pour l’injecter dans ton fonds de commerce. »
« C’est pourquoi il faut épargner de l’argent auprès de WAKILI ! Certaines femmes épargnent, sans calculer, et elles gagnent jusqu’à 50 000 ou 100 000 francs. Parfois, elles sont même étonnées d’avoir réussi à réunir une si grosse somme ! En épargnant ainsi de l’argent, il n’y a pas besoin de faire de prêt à WAKILI, chez un voisin, ou chez la tontine. Avoir son propre système d’épargne permet d’être à l’abri de beaucoup de difficultés pour soi et sa famille. En épargnant de l’argent auprès de WAKILI, c’est pour vous-même. Est-ce qu’une seule fois, WAKILI, vous a dit que vous n’allez pas récupérer l’argent que vous avez épargné ? On ne l’a jamais refusé, parce que cet argent, que vous épargnez, c’est pour vous ! L’objectif de WAKILI, c’est de vous aider à être indépendantes et libres. »
Pour écouter le reportage dans son ensemble, utilisez le lecteur média ci-dessous ou directement sur le site web RFI en cliquant ici.