Crise alimentaire : inflation des matières premières alimentaires et impact

Crise alimentaire : inflation des matières premières alimentaires et impact

17 juin 2022

Les différentes crises qui touchent actuellement la planète (guerre en Ukraine, covid-19, crises politiques, réchauffement climatique…) et certaines formes de spéculation impactent massivement les prix de matières premières, notamment ceux des produits alimentaires de base. Comme souvent, ce sont les plus pauvres qui sont le plus touchés. Le cas de l’inflation du blé est un exemple probant. Quelle est la situation actuelle dans les pays où nous agissons ? Quelles actions concrètes mettons-nous en place pour accompagner nos bénéficiaires ?

Inflation du prix du blé : le point sur la situation en Afrique et en Haïti

L’Afrique

La dépendance alimentaire de l’Afrique s’est accrue en raison de sa croissance démographique, de la modification des habitudes alimentaires et du dérèglement climatique (sécheresses, inondations) qui réduit sa production.

La Russie et l’Ukraine sont les premiers et cinquièmes fournisseurs de blé de la planète. Historiquement, la France était un fournisseur très important de l’Afrique mais dans les dix dernières années, elle a perdu une grande part de ses parts de marché au profit de la Russie.  En Ukraine, il est probable qu’il y ait peu ou pas de récolte en 2022 (hommes à la guerre, femmes parties massivement). En Russie, la production n’est pas empêchée mais les exportations subissent un blocus colossal. Cette rareté mais surtout la spéculation (déjà inquiétante depuis 2000) fait s’envoler les prix du blé. Certes, les pays africains ne sont pas alignés et pourront acheter encore du blé russe mais l’inflation frappe tous les flux de blé (russe, français, etc.).

Parmi les pays où nous agissons, la Guinée et le Sierra Leone, sont déjà très touchés par la crise de la covid-19 et la guerre en Ukraine aggrave leur situation, même s’ils sont moins dépendants du blé russe que d’autres (Maghreb, Egypte) et les populations consomment des céréales traditionnelles (riz,mil, sorgho, etc.). En revanche, le Sénégal, lui, consomme plus de blé, et dépend plus de l’Ukraine et de la Russie. Certains Etats africains où nous agissons subventionnent le blé mais le gouvernement sénégalais ne pourra pas maintenir artificiellement le prix de la baguette à 175FCFA.

Crise alimentaire

Haïti

Les multiples crises que traversent le pays ont un impact fort sur la précarité alimentaire d’une grande partie de la population. Haïti importe 70% des produits que l’on trouve dans les magasins, et une grande partie du blé, dont la majorité vient de Russie.

Le Programme Alimentaire Mondial (PAM) a un système de notation des crises alimentaires avec des phases allant de 1 à 5. 13% de la population est en urgence alimentaire (Phase 4) et 32% en crise alimentaire (Phase 3). Le PAM recommande évidemment de redoubler d’effort sur l’aide d’urgence alimentaire mais également de combiner dès à présent cette aide avec un appui aux activité génératrices de revenus dans ces zones.

Les solutions d’Entrepreneurs du Monde

Pour Entrepreneurs du Monde, le souci alimentaire n’est pas un sujet nouveau. La crise actuelle alerte le monde aujourd’hui mais nous contribuons depuis longtemps à réduire cette vulnérabilité en aidant les agriculteurs à développer leur production et leur souveraineté, réduire l’insécurité alimentaire de tous, mais aussi en appuyant de manière plus globale les populations pauvres et limiter leur vulnérabilité par rapport aux risques et aux crises.

 

Focus illustré par des témoignages collectés en Guinée lors de la mission de notre cofondatrice, Armelle Renaudin, en mai 2022.

AIDER LES AGRICULTEURS A DEVELOPPER LEUR PRODUCTION ET LEUR SOUVERAINETE

Pour lutter contre la précarité alimentaire, soutenir les agriculteurs dans le développement de leur production locale est essentielle. Ainsi, leurs communautés ne sont plus soumises aux lois de l’exportation et ont accès facilement à des denrées à proximité des chez eux.

Accompagnement proposé par Entrepreneurs du Monde aux agriculteurs :

  • Micro-prêts adaptés aux cycles des récoltes
  • Conseils techniques en agroécologie (formation en groupe et suivi personnalisé sur leur parcelle)
  • Pépinières de semences de qualité
  • Pépinières forestières pour ralentir la désertification
  • Bâtiments de stockage réfrigéré avec une architecture durable
  • Accès à des équipements mécanisés low tech et durables
  • Renfort des filières agricoles

TÉMOIGNAGE

Ibrahim Sylla, président du  groupe Khanouutkeya, est un agriculteur guinéen de 39 ans. Il a été au lycée en ville et parle français mais il n’a pas oublié la terre que son père lui a appris à cultiver. Et il est rentré dans son village près de Boffa, pour cultiver et développer ses parcelles.

Il cultive donc ananas, manioc, noix de cajou, aubergines, tomates, pois gombo, piments, maïs, avec bon sens, courage, ténacité… Depuis qu’il est accompagné par Mara, le Conseiller technique d’Entrepreneurs du Monde, il fait ses propres semis et enrichit sa terre grâce un compost réalisé à partir des déchets végétaux de ses champs, de restes de charbon de cuisine et de déjections de poules d’éleveurs des villages alentour.

Il a suivi aussi ses conseils pour diversifier sa production, faire démarrer ses légumes et céréales en décalé sur une même parcelle. Par exemple, quand l’ananas est devenu grand, mature, on va pouvoir le cueillir et laisser le manioc prendre toute la place et grandir.

Les prêts, l’épargne et la formation l’ont beaucoup aidé à agrandir sa parcelle et sa production. Et un jour, il transmettra à son tour savoir-faire et terre à ses enfants.

SENSIBILISER ET REDUIRE L'INSECURITE ALIMENTAIRE DE TOUS

La sensibilisation est également un axe majeur pour réduire l’insécurité alimentaire. Elle se fait à tous les niveaux, notamment auprès de l’ensemble de petits entrepreneurs du secteur de l’agro-alimentaire : marchands, transformateurs, restaurateurs et marchands.

Accompagnement proposé par Entrepreneurs du Monde aux entrepreneurs de l’agroalimentaire :

  • Micro-crédit à faible taux d’intérêt, sans demandes de garantie et cautionnement
  • Service d’épargne gratuit
  • Formations pour mieux gérer son activité (stock, relation commerciale, comptabilité etc.)
  • Suivi personnalisé en cas de difficultés

TEMOIGNAGE

Salimatou, marchande en Guinée est accompagnée par Entrepreneurs du Monde. Lors d’une formation, elle témoigne de son problème autour du gaspillage des produits qu’elle vend. Ses tomates ne se sont pas toutes vendues et elles ont commencé à pourrir. Alhassane, animateur social d’Entrepreneurs du Monde intervient pour proposer des axes de réflexions « Que peut-on faire pour éviter le gaspillage et la perte de bénéfice ? Est-ce que parmi vous, celles qui vendent des denrées périssables observent bien le nombre de clients qui passent devant votre étal, le nombre de concurrentes autour, enregistrent leurs ventes au jour le jour ? Et si vous voyez que votre stock ne tourne pas assez vite, que pouvez-vous faire pour ne pas tout perdre ? Transformer vos légumes en purée avant qu’ils ne soient gâtés ? Augmenter le stock en période de fête puis le réduire ? Trouver un autre endroit pour vendre, proposer un autre produit ? ».

LIMITER LA VULNERABILITE FACE AUX RISQUES ET AUX CRISES

Les risques et crises sont imprévisibles et se multiplieront avec le réchauffement climatique. Entrepreneurs du Monde accompagne ses bénéficiaires pour se préparer.

Accompagnement proposé par Entrepreneurs du Monde :

  • Des formations et sensibilisation avec des supportés adaptés à des personnes analphabètes pour la compréhension de tous
  • Partage d’expériences

TEMOIGNAGE

Les 11 femmes et  4 hommes du groupe Khanountkya en Guinée  bénéficient de crédit, épargnent de manière souple et efficace, et suivent des formation ensemble. Ils mènent tous une activité agricole et suivent dans cette exemple une formation sur les risques d’une exploitation agricole et les solutions pour les réduire.

L’animateur social d’Entrepreneurs du Monde, Lamine, distribue une image à chacun et demande de décrire ce qu’ils y voient. La première carte représente un mulet malade dans un enclot mal fermé. Un autre mulet s’approche par la porte mal fermée et prend le risque d’être contaminé.

La 2ème carte montre une femme au marché, les mains sur la tête, en signe d’inquiétude, devant un stock énorme qui lui reste sur les bras.  Elle évoque un mal bien connu de tous : la mévente.

Vient ensuite la carte « déforestation », puis celle des pluies ravageuses, de la dégradation des sols, des rongeurs, etc.

Lamine donne à chacun le temps nécessaire pour que le problème soit posé totalement : il anime l’échange avec les autres, questionne, fait rire les uns, inclut les autres, etc. Puis, il rassemble toutes les cartes et distribue les images du 2ème lot : celles qui représentent des solutions.

Il faut alors relier chacune aux bonnes cartes problème et expliquer ce qu’on voit. Par exemple, pour éviter  la propagation d’une épidémie animale, on surveille bien ses bêtes et on l’isole à la moindre alerte. Et pour être prêt, on construit un enclot par anticipation. On adopte les techniques naturelles de restauration des sols enseignées par le conseiller technique agricole : compostage, rotation, mix de plantes. On plante des arbres pour protéger les plantations du soleil et des pluies qui deviennent plus rares mais plus diluviennes, et qui emportent la terre si elles ne sont pas retenues par les racines des arbres. On respecte les meilleures périodes pour planter. Pour conserver les récoltes, on peut mettre les forces en commun et construire un grenier collectif. Et pour réduire les risques, on diversifie son activité en mixant cultures et élevage. Et même, on diversifie les cultures : si une variété marche mal cette année, l’autre peut équilibrer.

Là aussi, Lamine pousse chacun à témoigner, à compléter, à aller jusqu’au bout de la solution pour la comprendre, la retenir, se l’approprier. Le tout dans la bonne humeur car plus la réunion se passe bien, plus les participants s’en souviendront avec plaisir et chercheront à appliquer les bonnes pratiques mises en commun….

D’autres exemples d’actions concrètes

COTE D’IVOIRE

Le développement des productions de produits locaux est une des solutions pour réduire la dépendance alimentaire et faire face notamment à l’inflation du blé. En Côte d’Ivoire, Entrepreneurs du Monde contribue, avec des partenaires ivoiriens et français, au projet « Appui au développement de l’activité et de l’emploi des jeunes dans les filières manioc et maraîchage par le développement de la formation professionnelle et l’accompagnement de projets dans la Région du Bélier » (AFDA-BELIER/ARCHIPELAGO). Ce projet renforce les chaînes de valeur maraîchage et manioc en accompagnant des jeunes au plus près des besoins du territoire. Entrepreneurs du Monde assure la partie formation et accompagnement des jeunes à l’entrepreneuriat.

SENEGAL

Dans le Nord-Est du Sénégal, aux avant-postes des changements climatiques et de l’avancée du désert, le manque d’accès à des semences de qualité et les sécheresses aggravées entraînent une baisse de productivité des récoltes et accroit la dépendance alimentaire. De plus, tous les petits agriculteurs produisent en même temps la même chose et n’ont pas de greniers de stockage. Cette surproduction, sans possibilité de stockage, conduit à des pertes colossales ou à des ventes à prix bradés. Cette situation aggrave l’insécurité alimentaire des petits producteurs et de leur famille. Entrepreneurs du Monde a donc initié en 2018 un projet pour proposer aux petits agriculteurs des solutions efficaces de conservation et de financement. Ces solutions permettent aux cultivateurs de stocker une partie de leur production et de la revendre au moment le plus favorable.

GUINEE CONAKRY

Dans ce pays, le labour manuel est très difficile car il doit se faire soit avec beaucoup d’eau soit les animaux de traits. Cependant l’eau et difficile d’accès et les animaux de traits sont très touchés par les maladies. La solution est donc de procéder à un labour mécanisé. Par ailleurs, les producteurs n’ont pas accès aux intrants.

Nous lançons la création d’un magasin coopératif qui favorisent l’accès des producteurs à des intrants biologiques et de petits équipements : traiteurs, pompe moto-solaires etc.

Retrouvez ceci en image avec le témoignage d’Alice Carton, agronome pour Entrepreneurs du Monde, qui donne des nouvelles pour remercier des personnes qui ont fait un don lors de la soirée de collecte Pitch&Give pour développer ces actions.

 

Armelle RENAUDIN, co-fondatrice : Pourquoi devons-nous appuyer les petits agriculteurs des pays en voie de développement ?

Armelle Renaudin« Les populations africaines et haïtiennes souffrent très fortement de l’inflation sur les produits alimentaires de base. Et comme en France, une des solutions passe par la relocalisation, notamment en agriculture, pour garantir la sécurité alimentaire.

Le riz d’Asie coûte moins cher que le riz produit sur place en Afrique ! Le blé qui ne pousse pas en Afrique est dans toutes les assiettes au détriment de céréales locales dont la culture a été abandonnée ! Il y a quelque chose qui a été détruit et qui doit être rétabli !

Pour cette relocalisation, nous devons donner aux jeunes les moyens de rester à la terre, de pas être obligés de fuir les campagnes par faute de revenus et en quête d’un avenir très incertain dans les villes.

 Ces jeunes nous le disent, ils veulent continuer à cultiver leurs terres familiales mais ils veulent pouvoir en vivre dignement !

Ensemble, ce changement est possible ! Une implication des gouvernements est nécessaire : entretien des réseaux de transport entre ville et campagne, accès à l’énergie dans les zones rurales.

Mais cela passe aussi par l’accompagnement des petits agriculteurs tel qu’effectué par les équipes d’Entrepreneurs du Monde. Et pour cela, vous pouvez, vous aussi agir : soutenez-nous ! »

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