Youphil – Le microcrédit, une vocation sociale parfois oubliée

Youphil – Le microcrédit, une vocation sociale parfois oubliée

Youphil, le 28 mars 2013

Source de l’article : scd2013.blog.youphil.com
Auteur : Student Consulting for Development 2013

La microfinance est un secteur dynamique qui s’est grandement développé à la fin du XXème siècle et plus encore à l’aube du XXIème. Le microcrédit est allé jusqu’à toucher jusqu’à 205 millions de personnes en 2011. Après avoir été considéré comme un outil révolutionnaire dans la lutte contre la pauvreté aussi bien par les spécialistes que par l’opinion publique, ce modèle n’a pas manqué de susciter de vives critiques par la suite. Tout est dit et son contraire ! Essayons d’y voir un peu plus clair…

En définition, qu’est-ce que le microcrédit ?

Un microcrédit est un prêt accordé par une organisation (Institut de Microfinance – IMF, ONG ou encore coopérative) à des personnes vivant dans la pauvreté. Sans revenus et sans propriété, ces populations n’offrent pas de garanties suffisantes, et sont donc « exclues » du système bancaire classique. De ce fait, elles n’ont qu’un seul recours : les usuriers et leurs taux d’intérêts exorbitants, pouvant aller jusqu’à 600%.

Les montants prêtés sont faibles, car adaptés aux projets d’activités génératrices de revenus des bénéficiaires. Ce dernier est de ce fait considéré comme un micro-entrepreneur. Pour obtenir un prêt, on ne vous demande pas de garanties démesurées, on vous demande surtout quel est votre projet. Le crédit est accordé en fonction de sa faisabilité et de sa rentabilité économique à terme.

Les taux d’intérêt sont plutôt élevés par rapport aux prêts classiques, afin de couvrir le manque de garanties offertes par les bénéficiaires. De plus, la relation prêteur/emprunteur est très étroite. Avant tout accord, les institutions s’assurent de la connaissance précise de toutes les modalités d’un emprunt par les bénéficiaires. La communication est ensuite assurée par des visites de suivi régulières, le prêteur n’hésitant pas à se rendre directement sur le terrain pour voir comment se déroule l’activité.

L’évolution du microcrédit

Le microcrédit a été inventé à la fin des années 1970 par le Professeur Mohammad Yunus, prix Nobel de la paix en 2006. C’est avec la Grameen Bank au Bangladesh, premier institut de microfinance, que ce dernier démocratisa ce modèle de développement économique. Les prêts n’étaient alors accordés qu’aux femmes pauvres exerçant une petite activité économique (vente de poulets, raccommodeuses…).

Suite au succès retentissant de la Grameen, le modèle s’est exporté un peu partout dans le monde, aussi bien dans les pays en développement que dans les pays développés. L’ADIE en France par exemple a accordé plus de 100 000 crédits depuis sa création.

Les institutions internationales reconnaissent et soutiennent l’élan de la microfinance en faveur du développement. Des sommets internationaux sont organisés sur ce thème, et 2005 est même décrétée « Année Internationale du Microcrédit ». Le microcrédit tient alors un rôle majeur dans la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement : réduire de moitié d’ici à 2015 le nombre de personnes vivant avec moins d’un dollar par jour – nombre évalué actuellement à 1,2 milliards.

Le microcrédit : quelles limites ?

L’optimisme envahit tous les esprits, l’espoir d’une fin de la pauvreté imminente séduit les plus sceptiques. Cependant, comme tout modèle, le microcrédit a ses failles…

Les instituts de microfinance sont autonomes financièrement et rentables; la croissance exponentielle de leurs bénéficiaires fait des envieux. Nombre de nouveaux organismes voient le jour et l’objectif social est parfois perdu de vue. C’est le succès même du microcrédit qui risque alors de le conduire à sa perte.

Les taux déjà élevés et potentiellement critiquables deviennent parfois démesurés. Et la course aux bénéficiaires est lancée. L’alternative proposée par le microcrédit aux taux d’usure peut alors être remise en question.

Ces dérives contribuent en partie à la deuxième grande faille du modèle : le surendettement des bénéficiaires. La facilité d’obtention des prêts incite les pauvres à demander un microcrédit qu’ils ne seront pas toujours en mesure de rembourser.

Pour l’économiste Eddy Labossière, « le microcrédit est une arme à double tranchant. S’il permet aux membres du secteur informel, qui ne disposent pas d’assez de garanties, d’obtenir du crédit, les taux d’intérêt en cours sont trop élevés. Ceci empêche une réelle accumulation de capital susceptible de permettre à l’emprunteur de sortir de la misère». Les taux d’intérêt pouvant atteindre jusqu’à 80% peuvent en être la cause, mais pas seulement : une micro-entreprise peu rentable peut aussi être à l’origine d’un tel échec.

Comment lutter contre ces dérives ?

Pour faire simple, le microcrédit n’aura un impact positif sur les revenus des « pauvres » que si certaines conditions inhérentes au modèle de base développé par le Pr. Yunus sont respectées.

L’emprunteur doit être ciblé avec soin : il doit s’agir d’une personne vivant sous le seuil de la pauvreté qui a pour objectif d’accroitre ses capacités productives. Son activité doit avoir de réels débouchés et ses capacités de gestionnaire doivent être vérifiées.

Last but not least, le coût financier généré par le prêt doit être inférieur aux bénéfices de l’activité.

Pour en savoir plus sur les dérives macro-économiques du système et les solutions pour les résoudre, Youphil propose un article de Jean-Michel Servet et ses 10 conditions à respecter pour pallier les failles du modèle de Yunus.

En définitive, « le monde rêve d’une recette miracle contre la pauvreté et le microcrédit était un candidat tout à fait plausible. Il est temps de revenir à une description plus nuancée de ses avantages possibles. Mais reprocher au microcrédit d’être inutile ou dangereux parce qu’il ne se révèle pas être cette recette miracle n’a pas grand sens ». Esther Duflo nous inciterait donc à laisser de côté les belles leçons et les principes généraux pour combattre la pauvreté et à privilégier les initiatives adaptées aux réalités : « les petits changements ont de grands effets ».

En effet, bien des structures oublient leur objectif social en prêtant à des personnes à la limite de la bancarisation (personne que des banques classiques pourraient presque accepter) au lieu de se focaliser sur ceux vivants dans l’extrême pauvreté avec moins de 2$ par jour pour subvenir à leurs besoins.

Mais des initiatives tendent à revenir sur ce qui faisait le succès du micro-crédit. C’est par exemple le cas de l’IMF créee par Entrepreneurs du Monde à Lomé (Togo) dont nous avons rencontré la directrice. Voici les principes de base qu’ils appliquent pour préserver l’intérêt social de l’outil :

  • Des micro-prêts offerts aux exclus du système bancaire vivants dans l’extrême pauvreté,
  • Des taux plus élevés que dans les banques classiques mais très inférieurs aux taux des usuriers et des IMF peu scrupuleuses,
  • Pas de garantie financière demandée ou seulement une garantie morale (prêts à un groupe de femmes du même village),
  • Des formations en gestion à suivre obligatoirement pour obtenir un micro-prêt,
  • Une tolérance zéro pour garantir le respect des règles par tous.

Les résultats sont concluants, EDM Togo a 800 crédits en cours à son actif, tous aux mains de populations vulnérables, tous en bonne voie de remboursement.

… « des grands effets » vous avez dit?