SIERRA LEONE : un an déjà pour Munafa !
Bonjour à tous ! Nous revenons de mission en Sierra Leone, chez Munafa, notre programme de microfinance sociale. Nous sommes allés à la rencontre des bénéficiaires et de nos collègues de Munafa recrutés, formés et animés par Alfred Jusu et Romane Limoges, les pionniers d’Entrepreneurs du Monde en Sierra Leone. Ils font un travail formidable depuis un an et accompagnent déjà 1 400 entrepreneurs, dont 89% sont des femmes !
En langue locale, Munafa signifie Empowerment, amélioration, progrès… et c’est bien ce à quoi servent les services d’épargne, de crédit et de formation que déploient nos 20 collègues de Munafa !
Pour vous montrer comment ils accompagnent au quotidien ces personnes pauvres mais entreprenantes, nous vous emmenons avec eux dans 3 bidonvilles de la capitale…
Leslie Gomez, Chargée des partenariats entreprises
Louis Cazemajour, Chargé de la relation avec les donateurs
Pour commencer, rencontrons Alfred Jusu, directeur de Munafa
« La Sierra Leone est classée 181e sur 189 au classement IDH (index de développement humain). Pourtant, nous avons des ressources minérales – diamants, fer, bauxite – et des terres arables non cultivées. Mais depuis deux décennies, trois principales catastrophes ont fait reculer notre économie déjà fragile : une horrible guerre civile (1991-2002) puis l’épidémie d’Ebola (2014-2016) qui a tué plus de 4 000 personnes et enfin un dramatique glissement de terrain à Freetown (2017). Depuis, l’économie se redresse, mais la disparité entre riches et pauvres ne fait que s’accentuer.
Chez Munafa, nous pensons que nous pouvons contribuer à changer ce récit en apportant aux plus pauvres des outils solides pour entreprendre, consolider et développer leur business, et les faire monter en compétences sur tous les plans.
Ils sont capables alors de sortir leur famille d’une économie de survie et de l’inscrire dans une économie de projet ; ils prennent leur place dans leur communauté et ils participent au développement de leur pays !
Soutenir l’entrepreneuriat des plus pauvres, c’est donc miser sur le pays tout entier au lieu de perdre des talents et d’alourdir les rangs de l’exode ! »
Embarquons dans le bidonville de Kanikay, au nord est Freetown…
Ce quartier est tentaculaire, à la fois lumineux et sinistre : sous le soleil, pas loin de la mer, des centaines de cahutes en tôles très serrées, et partout autour, des tas d’ordures et des mares d’eau croupie. Tout le monde circule, l’air concentré, pour aller gagner les quelques leones de la journée.
Abass, l’animateur Munafa, commence sa première formation de la journée, auprès d’un groupe d’une trentaine de personnes. Romane nous explique les règles de fonctionnement des groupes de micro-entrepreneurs : « Nous demandons aux micro-entrepreneurs d’être présents à toutes les réunions bimensuelles et de participer activement. Ils doivent aussi épargner au moins 6 000 leones à chaque réunion (0,60€) et n’accèdent à un premier prêt qu’après cinq séances de formation. Ça nous donne le temps de créer une relation de confiance, indispensable dans une méthodologie où la confiance est notre seule garantie. »
A la fin de la réunion, les femmes viennent nous remercier : « C’est la première fois qu’on peut épargner, et l’épargne consolide nos business, ça nous permet de ne pas repartir à zéro quand on a un pépin […] Avant, quand un enfant tombait malade, je piochais dans la caisse pour payer un médicament : pas le choix, et je fragilisais mon business. Grâce à l’épargne, tout ça, c’est fini ».
Nous nous approchons d’Alice Conteh, qui a souvent levé la main pendant la réunion. Elle est restauratrice et reçoit son deuxième prêt (1 million de leones, soit 100 €) qu’elle va rembourser avec un taux d’intérêt mensuel de 2%. Cela peut paraître cher mais est en deçà des taux des usuriers et des autres institutions de microfinance, et permettra à Munafa d’atteindre son équilibre financier en 6 ans, et donc sa future autonomie.
Alice est travailleuse et a le sens du commerce. Elle a remboursé son premier prêt et activement participé aux formations.
Nous la suivons sur son lieu de vente : elle prépare et vend des biscuits et beignets devant le portail de l’école. C’est la bonne heure, les clients affluent, les ventes sont bonnes. Abass profite d’une accalmie pour faire le point avec elle sur son prêt, son activité, son stock, ses difficultés et ses succès. La fierté d’Alice et la confiance entre les deux sont palpables.
Rejoignons Adama dans le bidonville de Susan’s Bay…
Nous avançons en file indienne derrière Alusine, l’animateur Munafa, dans des ruelles de plus en plus étroites et obscures. Il nous prévient : « Susan’s Bay est l’un des quartiers les plus pauvres de Freetown. Il est souvent ravagé par des incendies, des inondations, la maladie. Les gens n’ont accès à rien. Notre place est ici ! ».
Effectivement, la densité est impressionnante, ça grouille de vie, d’étals de quelques tomates ou quelques savons. Nous ne sommes pas très à l’aise, nous avons l’impression d’outrager une terre où nous ne sommes pas conviés. Mais ce malaise disparait instantanément quand nous entendons le cri joyeux de plusieurs femmes « Munafa Munafa ! » : nous sommes clairement bienvenus !
Nous débouchons sur une mini-place, étonnamment calme au milieu de ce bidonville qui grouille. La réunion d’entrepreneurs du quartier se tient là, à côté de chez Adama. Alusine explique au groupe les bases d’une bonne gestion des stocks. Tout le monde est très attentif et participe activement. Adama lève la main pour répondre. Elle a été élue présidente de son groupe et nous sommes frappés par son charisme, sa capacité à donner l’exemple, à insuffler la confiance à ses consœurs.
Adama fait du savon mais pas n’importe lequel : sa recette est pure, non coupée et donc appréciée dans tout le bidonville. Elle fournit tout un réseau de revendeurs.
Un jour, un incendie a ravagé le bidonville, sa maison, ses outils de production et ses économies. Ses efforts ont été réduits en cendres. Mais grâce à l’appui de Munafa, Adama a relancé son entreprise, ce qui était d’autant plus nécessaire qu’Adama élève 6 enfants : 2 biologiques et 4 autres, dont les parents sont décédés ou en grande difficulté. Dans sa communauté, Adama est un exemple, une lumière qui répand l’espoir.
Pour finir, partons avec Khadija sur les hauteurs de la ville…
Elle va animer deux formations puis rendre visite à plusieurs entrepreneures, prendre le temps de faire le point avec elles. Avant de partir, Khadija revoit consciencieusement le support de formation, se projette dans sa séance, sollicite les bons tuyaux de ses collègues qui ont déjà mené le module sur la gestion des stocks… Elle récupère tous les registres et donne le signal du départ.
Nous arrivons à Dwarzak, un bidonville de montagne où les pieds sont le seul moyen de transport. Terrain escarpé, chemin de pierres… Aucune route ne traverse ce bidonville qui s’étend à perte de vue. Ici, les constructions sont en tôles et plutôt espacées. Les habitants bénéficient souvent d’une petite cour et d’un arbre. Ça a l’air plus vivable que dans les bidonvilles du bord de mer mais l’accès à l’eau et à l’électricité y est aussi problématique. Et le quartier est à la merci de glissements de terrain.
Khadija parcourt les chemins à toute vitesse. Elle connait parfaitement la zone : elle fait partie de cette communauté et est proche des bénéficiaires, tout en sachant garder une distance très professionnelle.
Nous arrivons chez Yeabu Komeh, une restauratrice qui cuisine plusieurs plats, notamment la sauce « Potatoes Leaves », un plat particulièrement apprécié des femmes enceintes parce qu’il est riche en fer et en vitamines. Depuis qu’elle est accompagnée par Khadija, Yeabu a doublé sa production : elle a la trésorerie pour acheter plus d’ingrédients, et peut assurer deux services maintenant.
La formation se tient dans la maison voisine et commence par un chant et une danse : « Nous commençons toujours par ce genre de brise-glaces : ça extrait les femmes de leurs soucis et les rend plus réceptives pour la formation et moins timides pour le partage de questions et d’expérience » nous explique Khadija qui pousse effectivement chaque entrepreneure à participer, pour qu’elles s’approprient les outils de la formation et assimilent parfaitement les notions clés abordées.
Après avoir animé deux formations auprès de deux groupes de 20 femmes, Khadija rend visite aux entrepreneures. Elle priorise celles qui ont des difficultés ou qui ne sont pas venues à la formation : elle veut comprendre la raison de leur absence, rappeler les règles d’un groupe Munafa, vérifier leur implication et recouvrer l’échéance due. Ces rencontres permettent aussi de faire émerger discrètement une violence conjugale, un enfant malade, un problème dans l’activité, etc.
Pour l’instant, Khadija appuie chacune au mieux, de toutes ses forces. Mais elle a hâte de voir arriver dans l’équipe, comme dans les programmes, plus anciens d’Entrepreneurs du Monde, un travailleur social pour aider plus vite ces entrepreneures.
Khadija parle de sa mission avec un enthousiasme et une fierté émouvante : « C’est la première fois qu’ici, à Dwarzak, on propose à ces femmes un accompagnement à l’entrepreneuriat. Des prêts sans garantie, des formations ! Elles n’y ont jamais eu droit avant ! Munafa leur permet d’entreprendre comme les autres, d’avancer, d’améliorer leurs revenus. Ces entrepreneures sont ma famille, mes sœurs, alors pour elles, merci ! » Ce que dit Khadija, nous l’avons entendu aussi dans la bouche d’Abass, d’Alusine, de Romane, etc. L’équipe est soudée, passionnée, efficace. Ses services répondent parfaitement aux besoins des personnes vulnérables qui entreprennent. Elle croule donc sous les demandes d’accompagnement et prépare l’ouverture d’une 3e et d’une 4e agence en juin à Freetown puis une extension dans des zones rurales isolées, en 2021.
Merci d’avoir partagé cette découverte du terrain avec nous !